Conjuguer bien-être et performance dans l’entreprise.
Dans notre pays, le dialogue social est malade.
Un exemple récent : la fermeture de Goodyear Amiens, après 5 ans de négociations infructueuses sur les rythmes de travail. C’est au total plus de 3000 salariés qui vont perdre brutalement leur travail.
D’après Thierry Aumonier, dirigeant d’entreprise, on recense une diminution des conflits collectifs (mesurée, par exemple, en jours de grève) mais une augmentation du stress, de l’absentéisme ou des suicides dans les entreprises. Dès lors, la qualité du travail (et non plus sa durée) s’impose comme un sujet majeur, sur lequel une négociation interprofessionnelle s’est ouverte cet automne. L’enjeu n’est pas seulement social, puisqu’on évalue le coût économique du stress à 2 à 3 milliards d’euros. L’entreprise a besoin d’un nouveau contrat moral, qui renforce l’« affectio societatis ». La notion « d’engagement » réciproque entre l’entreprise et le salarié doit être refondée. Les entreprises ne sont plus en mesure de garantir l’emploi à vie mais elles peuvent veiller à maintenir l’employabilité de ceux qui y travaillent.
Ce qui est nouveau, c’est la conviction que l’épanouissement personnel doit être traité comme un facteur de performance de l’entreprise.
Il ne s’agit pas de les concilier comme des antagonistes mais de les conjuguer. Les expériences en ce sens se multiplient : séances de relaxation, groupes de management, etc. Elles relèvent toutes de la même médication : injecter de l’humain pour favoriser la motivation. Qualité du travail et compétitivité sont liées.
Retenons trois leviers essentiels pour développer le bien-être de ceux qui travaillent dans l’entreprise. D’abord celui de la proximité. Même dans les PME, il ne suffit pas que la direction soit attentive au bien-être de ses salariés. C’est l’encadrement de terrain, d’équipe, qui joue le rôle majeur ; c’est de lui que dépend le suivi dans la durée. Des entretiens annuels d’évaluation avec le « chef », on entend trop souvent dire qu’ils sont très bien faits… qu’il est seulement dommage qu’ils ne servent à rien ! Rappelons-nous que, si on rejoint une entreprise, c’est souvent un chef qu’on quitte.
Un second levier est le partage : pas seulement celui des richesses mais le partage de l’information (premier courage d’un manager), de la vision (voilà où nous voulons aller), de la stratégie (voilà comment nous y allons) et des valeurs (voilà dans quel esprit nous y allons). C’est à ce prix que chacun peut donner du sens à son travail.
Un troisième levier est justement celui de la restauration de la valeur du travail lui-même : reconnaissance du travail bien fait (on parlait autrefois d’« œuvre »), attention donnée aux conditions, au climat et à l’organisation du travail. On ne peut pas s’épanouir au travail en s’épanouissant malgré le travail. Ajoutons pour la France un dernier levier de bien-être : celui de la reconnaissance concrète du mérite, sur laquelle existe une réelle attente.
L’alliance bien-être – performance pourrait, devrait, apparaître comme une banalité. L’observation de la réalité montre pourtant qu’elle ne va pas de soi. Dans les grandes entreprises, on a longtemps sacrifié l’encadrement intermédiaire et préféré une organisation matricielle illisible à la constitution d’unités à taille humaine, permettant de « faire équipe ». Dans les PME, ce devrait être plus facile mais nombreux, parmi leurs dirigeants, « ne s’écoutent pas » et traitent leurs insomnies et leurs maladies liées au stress par le déni… ce qui peut les conduire, vis-à-vis de leurs salariés, à conjuguer proximité et brutalité. Enfin, les jeunes créateurs d’entreprises eux-mêmes, qui ont plébiscité les sections finances et marketing des grandes écoles, donnent parfois l’impression qu’ils cherchent plus à développer un patrimoine (à revendre au meilleur prix) qu’une véritable entreprise… et ils ne sont pas forcément les plus tendres pour leurs collaborateurs de la même génération.
Si le capitalisme libéral est à l’heure actuelle le seul système économique qui soit viable, c’est largement de l’entreprise qu’il dépend qu’il soit vivable. Pour ce faire, il faut, à côté du profit, qui n’est qu’un irremplaçable indicateur de santé, que l’entreprise ait un projet à proposer à ceux qui y travaillent. Cette entreprise « porteuse de sens » exige les efforts conjugués d’une direction qui ait une vision (et qui sache la faire partager), d’un service de ressources humaines qui en assure l’animation et d’un management qui suscite la motivation.
AUMONIER Thierry
Publié dans la Catégorie Performance durable, Philosophie Lean #1 : Implication des individus, Philosophie Lean #2 : Amélioration continue - 3 février 2013