Pourquoi les PME italiennes continuent de bien s’exporter ?
Le paradoxe de l’économie italienne
Malgré beaucoup de clignotants économiques au rouge – faillites en hausse, PIB et consommation en baisse, hausse du chômage – les exportations ont le vent en poupe, et c’est le grand paradoxe de l’économie italienne. La péninsule – dont les deux plus grands partenaires commerciaux demeurent la France et l’Allemagne – est un des champions du monde dans ce domaine. L’année 2012 s’est achevée par un excédent commercial de 8,6 milliards d’euros, meilleur résultat des dix dernières années. Le commerce extérieur a enregistré une hausse de près de 5 % en 2012. Les exportations ont atteint 473 milliards d’euros, contre 452 en 2011 et 360 en 2009, soit 30 % du PIB.
Salon EMO de Milan, la plus grande exposition mondiale de machines-outils. Les secteurs les plus performants en matière d’exportation sont ceux spécialisés dans les machines-outils (18,2 % du total), dans les métaux (12,9 %), suivis du textile et du cuir (11,2 %).
Cassa integrazione
Mon expérience en tant que client d’entreprises italiennes est la suivante :
- vous cherchez un instrument d’optique à haute cadence pour équiper une ligne de fabrication, vous avez le choix entre trois italiens.
- ne cherchez pas sur facebook ou google, demandez directement aux responsables de maintenance ou travaux neufs que vous connaissez. Ils seront unanimes.
- avez-vous déjà vu un contrat ou un planning avec une PME italienne ? eux non plus. Vous avez un besoin, ils vont développer votre solution, point barre, on est entre professionnels. Si ils ne font pas toute la solution, ils vont faire appel à leur cousin qui fabrique une autre partie de la solution, et qui a une PME à 30 km. Entre eux non plus il n’y aura pas de contrat, ils vont se parler au téléphone et on avancera comme ça. Mon expérience à l’intérieur d’un entreprise italienne pour s’adapter à la charge : début 2009, grosse chute de la demande dans les verreries mondiales due au déstockage massif des grands donneurs d’ordre suite à la faillite de Lehmann Brothers. J’assiste au comité de direction de Bormioli, en visioconférence avec le groupe basé à Milan, notre site étant basé en France. L’administratore delegato commence : « Bon, alors vous avez mis en place combien de chômage technique cette trimestre ? » Moment de flottement. Le DRH et le DG français se regardent. « Excusez-moi patron, mais vous ne croyez pas qu’il faut encore attendre un peu, il faut être sûr que la demande va être durablement basse, c’est un gros dossier à monter, avec des implication politiques et sociales importantes, avec nos 500 salariés nous ne sommes pas aussi gros qu’une usine automobile ». Le parton italien souffle, et explique tranquillement qu’à Milan, à la dernière réunion qui s’est tenue au niveau de la filière verrière régionale, ils ont décidé un recours à la cassa integrazione pour 3 mois. C’est une forme de chômage technique partiel, prise en charge en partie par une caisse (la cassa) qui ressemble à notre Assedic sauf qu’elle est gérée par la région. On fait tourner équitablement les absences entre salariés, qui réactivent tous le petit boulot qu’ils ont dans leur garage. Et surtout, on se revoit dès que la situation redémarre, et on ne licencie personne.
Un tissu de micro-entreprises capables de se mettre en réseau
Comment expliquer ce dynamisme à l’export du « made in Italy » ? « La péninsule compte 4 millions d’entreprises dont la plupart sont des micro-entreprises familiales, explique Giovanni Ajassa. Elles sont capables de se mettre en réseau, non plus tant sur le modèle des districts du siècle dernier, mais dans le même esprit de coopération en matière de compétences. » Cette spécificité italienne permet d’avoir une grande souplesse, de réagir vite face aux nouveaux compétiteurs et de réorienter très rapidement les exportations vers les pays à plus forte croissance. « Aujourd’hui, une entreprise doit avoir un portefeuille de clients très diversifié et être en mesure de le modifier en très peu de temps », souligne l’économiste.
En 2012, 46 % des exportations italiennes ont été réalisées à destination de pays extra-européens. Les ventes ont augmenté en Amérique latine, en Turquie, en Russie, au Vietnam, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Tandis que l’export vers un pays comme l’Inde a été réduit. « Mais cette tendance ne sera pas forcément la même en 2013, tout dépendra de l’évolution des marchés », souligne Giovanni Ajassa.
Ferrero, Barilla, Fiat et Ferrari, ma non troppo
Quand on parle du « made in Italy », on pense inéluctablement à certaines grandes firmes : Ferrero et ses fameux rochers, Barilla pour ses pâtes, Fiat et Ferrari pour l’automobile, Finmeccanica pour l’aéronautique, Armani, Prada, Versace pour la haute couture, Benetton pour le textile, Luxottica pour les lunettes. En réalité, les secteurs les plus performants en matière d’exportation sont ceux spécialisés dans les machines-outils (18,2 % du total), dans les métaux (12,9 %), suivis du textile et du cuir (11,2 %).
Le fromage Grana Padano, la palme des exportations
Concernant le secteur agroalimentaire, il représente 8 % de l’export et pour la Coldiretti, principale organisation des entrepreneurs agricoles, il est destiné à croître fortement. Les ventes de pâtes, vins et huiles d’olive vers la Chine ont ainsi augmenté de 27 % en 2012. « Les résultats enregistrés démontrent que notre pays peut se relancer à condition qu’il investisse plus dans ses propres ressources », affirme Sergio Marini, le président de la Coldiretti. En termes de quantité, c’est en tout cas un fromage, le Grana Padano, un fromage proche du parmesan fabriqué près de Parme, qui remporte la palme des exportations 2012 : 700 000 unités vendues dans le monde !
Vice-président de la Confindustria, le « Medef » italien, Aurelio Regina, observe que « l’Italie se démarque encore des autres pays par son intuition, son art du design, sa créativité et un processus de désindustrialisation plus limité par rapport à des pays comme la France, le Japon et les États-Unis ». Giovanni Ajassa ajoute une autre caractéristique : « La capacité des entreprises à savoir développer des idées artisanales sur l’échelle mondiale. »
Publié dans la Catégorie Cas d'entreprise - 10 février 2013